samedi 14 février 2015

La viellesse




 Je ne l'avais pas aperçu et je ne l'eusse sans doute pas
 reconnu, si on ne me l'avait clairement désigné. Il n'était
 plus qu'une ruine, mais superbe, et moins encore qu'une
ruine, cette belle chose romantique que peut être un rocher
dans la tempête. Fouettée de toutes parts par les vagues de
souffrance, de colère de souffrir, d'avancée montante de la
mort qui la circonvenaient, sa figure, effritée comme un bloc,
gardait le style, la cambrure que j'avais toujours admirés; elle
était rongée comme une de ces belles têtes antique trop
abîmées mais dont nous sommes trop heureux d'orner
un cabinet de travail . Elle paraissait seulement appartenir
à une époque plus ancienne qu'autrefois, non seulement
à cause de ce qu'elle avait pris de rude et de rompu
dans sa matière jadis plus brillante, mais parce qu'à
l'expression de finesse et d'enjouement avait succédé
une involontaire, une inconsciente expression, bâtie par
la maladie, de lutte contre la mort, de résistance, de
difficulté à vivre. Les artères ayant perdu toute souplesse
avaient donné au visage jadis épanoui une dureté sculpturale.
Et sans que le duc s'en doutât,il découvrait des aspects de
nuque, de joue, de front, où l'être, comme obligé de se raccrocher
avec acharnement à chaque minute, semblait bousculé dans une
tragique rafale, pendant que les mèches blanches de sa magnifique
chevelure moins épaisse venaient souffleter de leur écume le
promontoire envahi du visage. Et comme ces reflets étranges, 
uniques, que seule l'approche de la tempête où tout va sombrer
donne aux roches qui avaient été jusque-là d'une autre couleur,
je compris que le gris plombé des joues raides et usées, le gris
presque blanc et moutonnant de mèches soulevées, la faible
lumière encore départie aux yeux qui voyaient à peine, étaient
des teintes non pas irréelles, trop réelles au contraire, mais
fantastique et empruntées à la palette, à l'éclairage, inimitable
dans ses noirceurs effrayantes et prophétique, de la vieillesse,
de la proximité de la mort.

   Marcel Proust     La Pléiade 1954   Le temps retrouvé   page 1017-1018

mercredi 4 février 2015

Ici, entre hier et aujourd’hui




Prenez ma nouvelle adresse
Je vis dans le vent sucré des îles nacrées
Et à ma nouvelle adresse
Une fille s´amuse à rire de mes souvenirs

Pierre Perret